Croyez-vous en la 2e chance ?

Mauvais choix, délits, casier judiciaire, probation. Quelle limite se fixent les employeurs du secteur automobile qui veulent engager des candidats au passé trouble ?

Ce n’est pas un secret, même si on n’ose souvent pas en parler librement : dans le domaine automobile, les travailleurs ayant déjà commis des infractions ne sont pas rares.

Ces délits sont très divers. Il peut s’agir de possession de drogue ou de petits vols à l’adolescence, pour lesquels on peut même avoir reçu un pardon. On peut aussi rencontrer des personnes aux prises avec des conflits familiaux complexes menant à l’intervention de la DPJ. Mais certains candidats présentent aussi des antécédents judiciaires plus graves, comme des vols ou des agressions à main armée, des crimes d’ordre sexuel, ou bien carrément des meurtres pour lesquels ils ont été emprisonnés.

Alors, quelle limite se donne-t-on quand on veut embaucher de tels candidats ? Nous avons mené notre enquête.

La valeur du travail

Les employeurs du secteur automobile ne cherchant que des travailleurs avec un casier judiciaire vierge et un dossier sans tâche existent-ils? Pas vraiment, selon nos recherches.

Il n’est par contre pas toujours clair de savoir ce qui leur a déjà été reproché par le passé, car les employeurs ne recourent pas automatiquement à des enquêtes pré-emploi. « Ils se fient davantage à ce que les candidats leur disent lors de leur entrevue d’embauche, ainsi qu’aux références que ces derniers leur fournissent. C’est assez récemment que mon entreprise a commencé à procéder à des enquêtes plus poussées  », nous confie une employée administrative qui a plus de 15 ans d’expérience chez des concessionnaires québécois et qui préfère garder l’anonymat.

Une attitude compréhensible dans un contexte de manque de main-d’œuvre, mais qui n’est pas sans risque si la personne engagée commet de nouveaux délits ou des récidives qui pourraient entacher la réputation de son employeur. 

Toutefois, comme l’indique notre témoin, c’est sur le terrain que généralement, les choses se jouent. « Lorsque je suis arrivée dans mon emploi actuel, j’ai été surprise d’apprendre que deux personnes de notre organisation avaient déjà fait de la prison. Mais ce sont de bons employés. Nous jugeons le travail réalisé avant tout. »

Même constat du côté d’Érick Vachon, qui possède deux ateliers de mécanique et qui gère 18 employés dans la région de Québec. « Je crois fondamentalement dans la deuxième chance, dit-il. Tout le monde a droit à l’erreur, et j’aimerais qu’on me la donne si des accidents de vie m’arrivaient. » 

Selon l’entrepreneur, le fait d’engager des travailleurs avec un passé trouble les amène à devenir de meilleures personnes. « Par contre, ajoute-t-il, je donne une deuxième chance, pas une cinquième. C’est tolérance zéro en cas d’infraction ou de récidive. » Il a d’ailleurs congédié sur-le-champ un de ses mécaniciens qui avait volé un bracelet dans la voiture d’un client, il y a de cela quelques années.

La frontière à ne pas dépasser

Chaque corps de métier, mais aussi chaque entreprise ont leurs propres exigences quand il est question de critères d’embauche. 

Dans le milieu automobile, la première nécessité est de détenir un permis de conduire valide, ce qui est naturel. Mais qu’en est-il des autres types d’infraction ? « Pour les mécaniciens, s’ils se sont déjà fait prendre à plusieurs reprises avec de l’alcool au volant, c’est moins toléré, indique notre source anonyme. Même chose en administration lorsque les personnes ont été accusées pour vol ou fraude, car nous sommes amenés à gérer beaucoup de transactions et de l’argent liquide. Quant aux superviseurs et aux gestionnaires, une enquête pré-emploi est automatique, c’est très contrôlé. »

« Personnellement, je n’ai jamais eu affaire à des meurtriers, indique de son côté Érick Vachon. Et j’ai mes propres limites. Les récidivistes, ainsi que tous les crimes sexuels ou en lien avec des mineurs, je suis mal à l’aise avec ça. »

L’entrepreneur n’est pas le seul à avoir des limites personnelles qui peuvent interférer dans son processus de recrutement. Comme lui, selon une étude menée par le Comité consultatif pour la clientèle judiciarisée adulte (CCCJA) en 2017, 72% des employeurs ont des réticences à embaucher des personnes ayant un casier judiciaire. Et seulement 28% des répondants à cette enquête affirment avoir déjà embauché des personnes judiciarisées.

Loi et jurisprudence

Au-delà de considérations personnelles, la loi dicte normalement comment se comporter avec des candidats au passé trouble.

Selon l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne, un employeur québécois ne peut refuser d’embaucher un candidat parce qu’il a été déclaré coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si un pardon a été obtenu. La personne refusée pourrait même entreprendre un recours légal contre l’employeur.

Par contre, rien n’empêche cet employeur de demander à un candidat s’il a été condamné pour des infractions, que celles-ci soient ou non pardonnées. Il a également le droit de s’adresser au corps de police, au palais de justice lié au lieu de résidence du candidat, ou bien à différentes firmes privées pour procéder à une vérification des antécédents judiciaires.

« C’est ce que je fais quand un candidat me dit en entrevue qu’il a un casier judiciaire, explique Érick Vachon. Si je trouve que cette personne a un raisonnement tout croche, je ne perds pas de temps et ne l’engage pas. Mais si elle a du potentiel, je vais valider ses informations avant d’aller plus loin. »

Et que se passe-t-il lorsque le candidat ment ou omet sciemment de révéler des infractions lors de son entrevue d’embauche ? Son employeur est-il en mesure de le renvoyer ? Selon la loi, si le délit n’est pas lié à son mandat, c’est presque impossible. Il est également difficile pour un employeur qui n’a pas demandé au candidat lors de son entrevue ses antécédents judiciaires de les lui reprocher par la suite, 

Mais la jurisprudence, elle, reconnaît à l’employeur le droit de congédier un salarié s’il est démontré que cette infraction nuit à la réputation de l’entreprise, à la crédibilité de l’employé et, du même coup, au lien de confiance établi avec ses responsables. La règle de la transparence est donc toujours celle à privilégier, de part et d’autre. 

Le sujet de la deuxième chance en emploi est par conséquent loin d’être clos, puisque trouver le bon équilibre entre le regard neutre posé sur les compétences et l’expérience d’un candidat, et le jugement personnel que l’on peut ensuite porter sur lui en apprenant son passé trouble est tout, sauf simple à réaliser. 

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •