Carrosserie et emploi : l’industrie du Québec à la croisée des chemins

Face à des enjeux de main-d’œuvre et de formation, quelles solutions le secteur de la carrosserie peut-il mettre en place? Des experts de la CCPQ et de l’agence de recrutement international Canari lancent des pistes de réponse.

Parmi tous les métiers du domaine automobile, celui de carrossier – au sens général du terme, aussi bien que spécialisé en diagnostique, en débosselage ou en peinture – est sans aucun doute un de ceux qui connaît la plus importante pénurie de travailleurs.

Une situation qui ne date pas d’aujourd’hui et n’est pas prête de s’arranger, puisque plus de 1000 travailleurs se sont réorientés dans d’autres domaines depuis la pandémie, et que 40% des carrossiers actifs prendront leur retraite d’ici cinq ans. Or, ces derniers n’auront pas automatiquement de relève, 80 % des travailleurs de ce secteur ne possédant aucune formation ; ou quand ils en ont une, les progrès technologiques sont si rapides que les programmes ont du mal à suivre le rythme.

Nous avons donc décidé d’asseoir à une même table trois experts de l’industrie pour discuter de ces enjeux et lancer des pistes de solution : Luc Fillion, conseiller stratégique de la Corporation des carrossiers professionnels du Québec (CCPQ), ainsi que Karim Mouldi et Michel Pagano, de l’agence de recrutement international Canari.

Nos trois intervenants, de gauche à droite: Luc Fillion, Karim Mouldi et Michel Pagano.
Nos trois intervenants, de gauche à droite: Luc Fillion, Karim Mouldi et Michel Pagano.

Des mentors parmi les carrossiers retraités

Garder à l’emploi les carrossiers qui aimeraient, avec des conditions plus souples, continuer à travailler une fois leur retraite arrivée est une des premières avenues avancées par la CCPQ. 

« Ils peuvent devenir des mentors dans des garages, ou même des enseignants », indique M. Pagano, en prenant pour exemple un Car Expert de Beloeil qui a réussi à garder jusqu’à ses 75 ans un de ses employés, qui transmettait ses connaissances aux plus jeunes. « N’oublions pas que cela prend 5 à 6 ans pour maîtriser tous les aspects du métier de carrossier. Et que même les travailleurs bien formés à l’étranger ont besoin d’être accompagnés pendant 6 mois pour évoluer au même niveau que les autres » ajoute-t-il.

Le recours à des travailleurs étrangers

Pour beaucoup d’employeurs du milieu automobile, la venue de travailleurs étrangers temporaires ou permanents représente une des solutions les plus évidentes au manque de main-d’œuvre, même si les démarches associées peuvent être longues et coûteuses.

Dans le domaine de la carrosserie, toutefois, les choses sont moins évidentes. « Nous plaçons de 150 à 200 travailleurs étrangers dans les garages du Québec chaque année, mais il est plus difficile de trouver parmi eux des carrossiers qui répondent aux normes canadiennes, avance M. Mouldi. Une analyse plus poussée des dossiers est nécessaire, car tous les pays n’utilisent pas les mêmes techniques. On s’entend que l’usage du chalumeau ailleurs n’est plus d’actualité ici, par exemple. »

Fillion ajoute qu’un candidat carrossier est d’autant plus complexe à évaluer que son travail est tout autant manuel qu’artistique. « On ne fait d’ailleurs pas d’entrevue avec ces professionnels, on les teste! » lance-t-il 

Il semblerait toutefois que de plus en plus de carrossiers étrangers, notamment mexicains, soient formés aux technologies appliquées (informatique, Carolina, etc.) et obtiennent des certifications BMW, Tesla ou autres. Une idée donc à garder en tête.

Des professeurs dédiés à l’industrie

Certaines bannières de bonne dimension – communément appelés MSO (Multi Shop Owners) ont commencé à prendre les devants en matière de main-d’œuvre en engageants des professeurs qui viennent réaliser de la formation continue au sein des garages du groupe.

« Ils viennent former les travailleurs à de nouvelles technologies, de nouveaux procédés, mais aussi s’assurer que les dernières procédures des manufacturiers soient suivies, car les carrossiers doivent être en mesure de documenter les dossiers aux assureurs » explique Luc Fillion.

L’expert recommande d’ailleurs cette manière de procéder, plus facile à intégrer que d’envoyer des employés à l’externe pour aller se former. Mais engager des enseignants spécialisés a un coût que ne peuvent pas se permettre tous les ateliers, il en est conscient. « Et d’autre part, on constate que le CFP en carrosserie et peinture ont également du mal à recruter des professeurs comme des étudiants » dit-il.

Mécanisation et automatisation

Alors que les nouveautés technologiques se multiplient dans le milieu automobile, les experts pensent que les machines, notamment celles qui utilisent de l’intelligence artificielle, représentent une solution d’avenir à la pénurie de professionnels.

« Il suffit de penser à l’estimation d’une réparation, indique Michel Pagano, qui prend 3 heures en moyenne quand un humain s’en charge, et 3 minutes quand c’est une machine nourrie d’IA, et ce avec une précision de 80 à 90%, pour comprendre l’intérêt de cette avenue. Qui plus est, ces machines ont des outils supplémentaires très pertinents, comme des rapports vocaux et de la modélisation lorsque les pièces sont accidentées. »

Idem pour le volet de la peinture, avec une précision de l’ordre de 100% pour les mélanges de couleurs. « Mais ces avancées ne remplaceront pas de sitôt des carrossiers en chair et en os, ajoute-t-il, car ce sont de vrais artistes qui adaptent leur travail ave beaucoup de finesse, d’un véhicule à l’autre. »

Prêt de main-d’œuvre

La dernière solution amenée par Luc Fillion peut surprendre, mais elle est déjà en œuvre dans d’autres secteurs d’activité, comme la construction. Il s’agit du prêt de travailleurs pour des besoins temporaires.

Une idée qui a déjà été lancée par Unipièce et qui permettrait, lorsque le besoin s’en fait sentir, de louer des employés qu’on a en surplus à d’autres ateliers… en autant, bien sûr, que l’entreprise locatrice n’en profite pas pour voler ces talents. 

« Nous devons finalement mener une vaste réflexion au sein de notre industrie, résume M. Fillion, et trouver des solutions adaptées à notre réalité actuelle, mais aussi à l’évolution du marché au cours des prochaines années. » L’électrification des transports, la croissance du télétravail, la diversification des transports en commun et l’intégration de l’IA pourraient effectivement jouer un rôle important en matière de main-d’œuvre en carrosserie dans le futur.

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